lundi 13 mars 2017

Achèvement de la station d'écoute HA-04 (2/2)

Vous vous souvenez peut-être de cet article (lien) concernant la réinstallation de la station d'écoute HA-04. Celle-ci est un maillon essentiel du réseau mondial de détection des essais nucléaires. Crozet est en effet idéalement placée pour couvrir une large zone comprenant notamment tout le sud de l'océan Atlantique. Cependant, cette station n'était plus fonctionnelle depuis plusieurs années.

Un manchot curieux filmé par les plongeurs en février 2016, lors des opérations de récupération des anciens câbles

Il faut dire que les conditions particulières de notre archipel rendent les travaux plus que délicats, du fait bien sûr du climat, mais aussi parce que nos iles sont partie intégrante de la Réserve Naturelle des Terres Australes (RNNTAF, abrégée RN en pratique). La réinstallation devait donc satisfaire au double critère de durabilité (au moins 30 ans) et de respect de la faune, notamment des manchots présents en nombre en Baie du Marin. Il fallait donc concilier meilleure période météo et calendrier de la reproduction des oiseaux, car il n'est pas question de déranger ceux-ci pendant le nichage : effrayés, les couveurs abandonneraient l’œuf ou le petit.

C'est la raison pour laquelle les travaux ont eu lieu avant que les couples reproducteurs ne s'installent, mais le plus proche possible de l'été. Par ailleurs, les grands moyens avaient été engagés pour maximiser les chances de réussite de l'installation : un câblier impressionnant était à la manœuvre.
 
Le CS Decisive de très très près !

Le principe de la station est de coupler trois triplets d'hydrophones, qui permettent de capter les sons se propageant dans l'eau. Ces derniers sont installés en deux points opposés à plusieurs dizaines de kilomètres de l'ile (triplets nord et sud) et reliés par des câbles de fibre optique à la Baie du Marin, puis jusqu'au local informatique sur base, à partir duquel le signal est envoyé directement au siège de l'OTICE*, à Vienne.

*L'OTICE est l'Organisation du Traité d'interdiction complète des essais nucléaires (CTBTO, en anglais : Comprehensive Nuclear-Test-Ban Treaty Organization), organisme qui gère la mise en œuvre du Traité d'Interdiction complète des essais nucléaires.

L'un des tous premiers signaux captés par la nouvelle station le 26 décembre : probablement des baleines bleues. La station offre, au-delà de son but initial, une base de données considérable pour les scientifiques du monde entier. Elle capte en effet tous les signaux de propageant dans l'océan

Entre le principe et la mise en œuvre, il restait cependant de grandes difficultés techniques à résoudre.

- Pour maximiser les chances de réussite, une mission était venue en février 2016 afin de retirer les anciens câbles et de cartographier les fonds marins avec une précision extrême, grâce au sondeur multi-faisceaux très perfectionné du Marion Dufresne. Un trajet le plus optimal possible a donc été établi, en fonction des canyons, rivières sous-marines et autres spécificités des fonds ; le but étant que les câbles soient déposés sur des fonds favorisant leur stabilité. 

- Les câbles ont également été lourdement blindés, pour assurer la meilleure protection possible

- Enfin, au niveau de la BdM, ils ont été lestés et protégés par des demi-coques métalliques, afin d'éviter notamment le risque d'être accrochés malencontreusement par une ancre d'un navire de passage.

L'équipe en train de poser les demi-coques sur l'un des câbles en plage. Sur les fonds de la BdM, ce sont les plongeurs américains qui s'en sont chargés.

Concernant la mise en œuvre, vous avez déjà pu voir des photos du câblier déroulant les câbles, ces derniers étant maintenus par des bouées jusqu'à ce qu'ils soient positionnés à la verticale du point de chute. Là aussi, entre le principe et la réalité concrète, de nombreux aléas pouvaient obérer la réalisation du projet. C'est pourtant aujourd'hui une pleine réussite !

Nous concernant, nous avons reçu pendant près d'un mois une équipe internationale, composée d'un ingénieur du CEA (qui assure l'exploitation de la station pour le compte de l'OTICE), de la responsable des services techniques des TAAF (qui supervisait le chantier), du responsable du projet pour l'OTICE, et de 6 américains de l'entreprise L3MariPro (plongeurs, informaticien, etc.).

Fluffy et l'équipe du chantier (presque) au grand complet (photo : Julie TUCOULET)
Les personnels infra de Crozet en plein travail, mais toujours souriants !

Cette équipe a été aidée tout au long du chantier par nos personnels infra, sous le regard de l'agent de la RN chargée du suivi du chantier, qui devait s'assurer de l'impact minimal sur la faune présente en BdM. Par exemple, le treuil utilisé lors du déroulement des câbles avait été spécialement insonorisé pour l'occasion. Des tests ont été réalisés avant la venue du câblier pour évaluer l'impact 'éventuel sur les espèces du bruit lié à son fonctionnement.

Des manchots filmés par les plongeurs de L3MariPro en BdM, lors de la réinstallation de la station. Les voir virevolter sous l'eau est un spectacle captivant, car ils donnent littéralement l'impression de voler

Une démarche exemplaire donc, qui a abouti à la réussite de ce chantier exceptionnel. La nouvelle station vient s'insérer dans le réseau mondial des 321 stations d'écoute, qui conjuguent différents moyens de détection :  hydroacoustiques, terrestres, ou encore mesures des radionucléides aériens. C'est d'ailleurs en Terre-Adélie qu'a été inaugurée la station de détection des radionucléides RN-32  en mars 2016. Les TAAF possèdent donc à présent sur leur territoire deux stations de l'OTICE, ce qui marque l'implication forte de la France dans le Traité.

La station Dumont d'Urville en Antarctique

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